« Répondre aux questions cachées du programme »

  • Entretien de Jean-Patrice Calori, Bita Azimi & Marc Botineau
    Propos recueillis par Jacques-Franck Degioanni & Cyrille Véran
    Le Moniteur n°5696
    25 Janvier 2013

IMPLANTATION
« Ce territoire a nourri un imaginaire commun »

Plus de dix ans de travail en commun et un désir partagé, depuis notre rencontre, de réfléchir et de rêver autour de ce territoire si particulier de la Côte d’Azur où nous sommes implantés. Son paysage ne peut pas laisser indifférent : par ses qualités physiques, géographique, mais aussi par ses « archétypes ». Que l’on se trouve projeté vers l’horizon marin ou bien au cœur des vallées de l’arrière-pays, nous nous sommes dit que tout était déjà là, prêt à être révélé et revisité… Ponts autoroutiers, murs de soutènement, restanques, routes cresusées dans la roche ou en encorbellement, etc.
Tous ces éléments ont nourri un imaginaire commun. A l’image du Riviera Palace, à Beausoleil (Alpes-Maritimes), où se trouvait notre première agence. Un ancien hôtel de luxe construit vers 1900, dont le monumental jardin d’hiver sous verrière met en relation, de manière unique, le grand paysage avec le relief, la roche.
Des analogies avec l’architecture généreuse des années 1950 et 1960 aux balcons filants, avec des infrastructures qui scarifiaient le relief ont, peu à peu, constitué l’âme et le sens de notre travail.
Ce territoire nous est apparu « résistant », capable d’encaisser tous les outrages : régionalisme caricatural, terrains éventrés et abandonnés par des promoteurs en fuite, habitat et typologies génériques, etc. Et puis donc, les restes de cette pression foncière implacable : des parcelles enclavées sur des terrains en pente, aux géométries complexes. Ce sont elles qui ont constitué notre terrain d’action et de prédilection.
Sur cette « côte sauvage », il se trouvait quand même des exemples à suivre, des repères, des références : des architectes comme Pierre Fauroux, Marc Barani et quelques autres, qui avaient tracé un sillon, dont le travail avait ouvert une brèche.
Restait l’identité de ce territoire, son code génétique : la lumière implacable qui rend toute préciosité ridicule, l’horizon marin et sa permanence, la pente toujours porteuse d’architecture. Bref, notre dramaturgie du sud qui nous ramenait aux univers de l’écrivain Albert Camus ou du peintre Giorgio de Chirico.

VOCABULAIRE
« Eliminer le superflu, tendre à une « écriture blanche » »

Notre approche s’est forgée de manière empirique et déductive. Nous n’avons pas cherché à théoriser à priori notre travail. Néanmoins à travers nos projets, et notamment le Lycée Jules-Ferry (Cannes), les logements Stella K (Beausoleil) et le groupe scolaire, également à Beausoleil, tous fondateurs pour l’agence, nous avons déterminé des clefs d’entrée et affiné au fil du temps la réponse à certaines questions.
On pourrait parler ici d’un « décalogue », d’une charte non écrite et non dogmatique.
Ce serait plutôt une « boîte à outils » commune basée sur le fruit d’une expérience collective concrète. Ces principes partagés entre nous consistent, par exemple, à privilégier la structure pour obtenir des projets « résistants » dans le temps, à tendre vers la « monomatière » et à sublimer le matériau par des mises en œuvre précises, à travailler l’adossement et la relation à la pente comme des pourvoyeurs d’espace à part entière, à transformer les circulations en lieux de mise en scène du paysage, à rendre les toitures accessibles et à leur associer un usage, à faire de nos projets des générateurs urbains en y agglomérant des seuils, parvis, escaliers publics, etc. Enfin -et surtout- à ne pas donner à lire immédiatement la destination de nos bâtiments pour leur permettre de muter, bref de conserver un mystère indispensable, l’architecture ne doit pas parler à la place des hommes.
Tout ceci a définit l’alphabet de l’agence, un vocabulaire partagé et réduit qui élimine le superflu pour tendre vers une écriture « blanche », neutre. Vers une épure. Dans le même temps, notre grammaire est devenue plus complexe. La syntaxe s’est enrichie pour évoluer vers la recherche de la « question cachée » présente en creux, de manière quasi subliminale, dans le programme ou dans le site. La spécificité des terrains, au regard des programmes standard, nous a amenés à proposer des réponses très particulières.
La plupart de nos bâtiments intègrent également des lieux ouverts, partagés, là où il n’y en avait plus. Une manière de tisser des liens entre un bâtiment et sa ville. De scénographier des glissements entre le projet et l’espace public.

LE PROJET ET SA RÉALISATION
« Le temps est notre allié »

L’architecture demande du temps, de la ténacité, de la stratégie. Le projet doit profiter de toutes les opportunités. L’adaptation du programme au fil de l’eau est un autre levier d’action. Tous nos bâtiments ont évolué en cours d’études -et même une fois livrés!- parce que la période du concours est insuffisante. Les études permettent au maître d’ouvrage de pousser plus loin la définition de ses besoins et, pour nous, d’apporter quelque chose de plus qu’au concours. en ce sens le temps est un allié pour affiner, décaler et enrichir la proposition. Ces altérations du programme ne sont pas sans risque, mais c’est là le cœur de la conception, tant du point de vue des règles, que des techniques mobilisées. Les principes structurels, climatiques, etc. retenus doivent servir et renforcer les intentions du projet. Nous assumons les risques liés à l’innovation, comme à l’Ecole de Villefranche-sur-Mer, sur la question de la grande portée. Ou pour la mise au point artisanale de doubles murs isolants dans des logements tout juste achevés à Cannes. L’innovation vient au service de la résolution de la contrainte, mais nous faisons toujours en sorte que le projet réalisé reste muet sur sa fabrication. Volumes simples, pleins et vides profonds : la matérialité questionne la minéralité du béton. C’est ici une région de maçons, avec une culture de la pierre, de l’épaisseur. un pays de murs et d’escaliers. L’emploi du béton pour des projets qui « coagulent » avec le terrain nous semble logique. c’est un matériau local : les carrières et les cimenteries sont proches. Pour exprimer sa minéralité il faut, si possible, le laisser apparent. D’où l’importance accordée à la qualité de son exécution. Ce qui passe par un gros travail sur les pièces graphiques et écrites du marché, par une présence soutenue sur le chantier et une relation de confiance avec les entreprises. On s’adapte à leurs savoir-faire, c’est une manière d’être contextuel.
A la Trinité, le béton est resté coffré sept jours (contre 24 heures habituellement), pour éviter les microfissures dues aux chocs thermiques et obtenir ce rendu velouté, un casse-tête pour la rotation des banches. L’entreprise l’a compris. Sans elle, on aurait pas pu faire.