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Entretien de Jean-Patrice Calori, Bita Azimi & Marc Botineau
Propos recueillis par Carine Merlino
Architectures de Béton, 46 réalisations contemporaines
Editions Dunod
Qu’est-ce qui a conduit à réaliser une forme architecturale compacte en béton apparent pour l’Ecole Maternelle les magnolias à Villefranche-sur-Mer?
BITA AZIMI – Notre réflexion sur la question du matériau est très liée au lieu. Ce territoire nous a naturellement conduits à utiliser le béton pour exprimer la minéralité. L’enjeu pour nous est de mettre en résonance une architecture, un mode constructif, une matérialité avec l’esprit et la nature du site. Ce qui caractérise notre travail, c’est le rapport étroit et spécifique que peut entretenir la structure avec le paysage. Le béton est un des outils à la fois complexe et merveilleux propre à incarner la minéralité du sud et par-dessus tout à apporter l’abstraction, le silence et la dramaturgie.
MARC BOTINEAU – Ce projet naît de son sol, un volume tellurique comme une extrusion de la forme géométrique de la parcelle que l’on a entaillé et creusé. La pente permet de desservir chaque programme de plain-pied, avec l’idée qu’un enfant puisse aller du point bas jusqu’à la toiture sans prendre d’escalier. Une rampe de circulation s’enroule comme un ruban autour du bâtiment, tel un générateur de vues sur le paysage et d’ombre sur les espaces extérieurs, la question du confort d’été étant primordiale dans le sud.
JEAN-PATRICE CALORI – Pour concevoir une structure sur un site triangulaire, nous avons travaillé sur un principe de grandes portées pour apporter de la flexibilité et générer des « dessous » et des « dessus », en creusant la forme, en « tordant » le programme pour ménager des préaux, des failles et des surprises. Le résultat est un petit bâtiment qui paraît plus grand du fait de son principe distributif. Le béton, lui, n’est pas un choix esthétique a priori. Il se retourne dans tous les sens tel un ruban de Moebius. Pour résumer par un oxymore, on pourrait dire que l’on a essayé de fabriquer un bâtiment à la « massivité légère ».
MARC BOTINEAU – C’est un territoire marqué par la minéralité, comme l’atteste la présence d’infrastructures, des routes littorales en corniches ou de la citadelle de Villefranche qui semble coaguler avec la roche. Pour faire écho à ce paysage minéral, nous avons voulu un béton clair, bouchardé manuellement, pour faire ressortir les agrégats de pierre calcaire.
Est-ce un béton de ciment blanc?
MARC BOTINEAU – C’est un béton mélangé à des cendres de hauts fourneaux. Une formule pour laquelle il a fallu faire beaucoup d’essais, notamment pour les corrections acoustiques en béton dont nous avons modélisé les matrices, et qui sont coulés en place, en sous-face des dalles, pour conserver l’aspect monolithique du projet.
Les plafonds sont donc en béton apparent avec de grandes portées sans retombées de poutres. Les dalles ont fait l’objet d’un travail particulier…
JEAN-PATRICE CALORI – Des sphères creuses, de 40 à 60 cm de diamètre suivant la portée, sont positionnées dans des ferraillages spécifiques spécifiques pour créer une dalle alvéolaire et alléger la structure. Il n’y avait pas de DTU spécifique, le fabricant suisse a donc participé à sa mise au point avec le bureau d’études et le bureau de contrôle. Un plancher technique est ensuite crée pour le passage des fluides. Ces « dalles sandwich » sont acoustiquement et thermiquement performantes. Mettre l’expérimentation au cœur de la réflexion vise avant tout à résoudre les questions tectoniques lors de la fabrication du projet, mais c’est souvent par l’intuition que les choix essentiels sont accomplis.
MARC BOTINEAU – La technique n’a de sens que si elle permet d’apporter une réponse spécifique au projet. Ici, le travail de recherche et d’innovation sur la structure nous a donné l’opportunité de réaliser un bâtiment massif et monolithique tout en allégeant la structure d’un volume de béton conséquent : 130 tonnes environ.
C’est de l’innovation à partir d’un matériau simple et souvent employé?
BITA AZIMI – Le béton, par sa simplicité apparente de mise en oeuvre, est entré dans un classicisme, sa dimension innovante s’est érodée peu à peu. Son image souvent associée à une période particulière de l’histoire l’a marginalisé et les réglementations environnementales ont porté le coup de grâce par la radicalisation du dispositif d’isolation par l’extérieur. Nous avons toujours refusé cette fatalité pour conserver coûte que coûte la minéralité de nos projets.
JEAN-PATRICE CALORI – On nous dit souvent que nos bâtiments ressemblent à des parkings. Cela nous fait plaisir carr c’est une écriture associée à une rationalité constructive. Cela parle de bâtiments « dispositifs » et durables. Ce que nous tentons de mettre en oeuvre, c’est une abstraction, l’expression des masses, la profondeur de la lumière. La lumière « assourdissante » du Sud dont parle Albert Camus écrase tout ce qui reste, c’est le volume dans sa nudité et sa vérité.
MARC BOTINEAU – Nous avons été amenés à emprunter des procédés constructifs qui sont ceux des ouvrages d’art pour se libérer des contraintes du site et d’une certaine instabilité programmatique. A l’image de ces infrastructures, nous tendons vers des projets de gros-oeuvre en s’appuyant sur un savoir-faire local : c’est un pays de maçons et les cimenteries sont toutes proches.
BITA AZIMI – Lorsqu’on utilise le béton apparent, ce sont les mêmes chefs d’équipe, coffreurs, ouvriers qui vont suivre la réalisation du travail du début à la fin. Nous défendons cette idée : s’il y a une division des tâches, les hommes n’ont pas la vision globale de l’oeuvre, ce qui n’est pas le cas avec le béton coulé en place où structure et finition sont entre leurs mains : le bâtiment est alors comparable à une sculpture.
JEAN-PATRICE CALORI – Nous nous méfions des assemblages de matériaux. Un bâtiment où la matérialité glisse de l’extérieur vers l’intérieur apporte une dimension plastique qu’aucun autre matériau n’est capable de transmettre. Il porte en lui à la fois la marque du moule mais aussi les traces, les scories de sa fabrication, la main de l’homme.
MARC-BOTINEAU – Le béton, c’est une certaine temporalité et la dimension humaine qui va avec, mas c’est aussi la plasticité. Le modelage et l’incertitude rendent le chantier extrêmement vivant. Il y a le risque de la belle surprise, de la déception, et la possibilité du changement jusqu’au dernier moment.
JEAN-PATRICE CALORI – L’état de surface du béton est une question qui se repose à nous inlassablement. Nous essayons de de demeurer simples dans nos choix. Le béton lisse ou bouchardé garde une neutralité bienveillante. Nous travaillons la géométrie des calepinages, leur régularité, mais cette attention ne doit pas raconter d’autres choses, car cela perdrait tout son sens.
BITA AZIMI – Nous n’essayons pas de l’adoucir. Sa plasticité joue avec la lumière du Sud qui distingue nettement les épaisseurs et les masses. Ce n’est pas un matériau qui doit amener au maniérisme. Il faut le laisser rester rude pour dialogue sereinement ou parfois plus violemment avec la roche, les infrastructures, les soutènements, les villages perchés.
MARC BOTINEAU – Chaque béton est différent, c’est ce qui fait la poésie du matériau. Nous avons eu un béton magnifique à la Trinité avec une entreprise qui ne l’avait jamais mis en oeuvre auparavant. Les coffrages étaient en métal double-peau bois et le temps de séchage de 7 jours, ce qui a beaucoup changé le résultat.
JEAN-PATRICE CALORI – Ils avaient conçu de vrais outils de coffrages spécifiques qui permettaient de couler les petits volumes servants et porteurs du projet en une passe. Le béton était comme du marbre lorsqu’ils le décoffraient. C’était assez émouvant…
MARC BOTINEAU – Ici, la technicité du projet et notamment les dispositifs de plancher très complexes ont rassemblé de nombreux corps d’état et ont donné une dimension aventureuse collective. Il fallait résoudre cela ensemble, et c’est cette ambition commune qui a porté le chantier.
BITA AZIMI – Nous ne vivons pourtant pas avec la « mystique » du matériau. Nous construisons actuellement un pôle universitaire sur le plateau de Saclay, tout en acier, où l’assemblage a remplacé le coulage, avec la même conviction et recherche de sens, entre une matière et l’expression d’un travail, de notre travail.