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Texte de Jean-Patrice Calori,
dans le cadre du "Séminaire de Projets 2" à Pesmes
Juillet 2016
La banalité ou le neutre, si l’on fait fi des considérations purement formelles, c’est ce qui pourrait passer inaperçu, peu visible car ne sortant pas du lot. Si on pose côte à côte des casseroles, que des casseroles, avec d’autres casseroles de toutes les couleurs, tailles, formes, l’égouttoir le plus simple, le plus banal qui se glisse dans cette marée de casseroles est l’exception, qui se remarque, qui jure, dénote ou intrigue. Lorsque nous avons traversé la période post-moderne, où toutes sortes de bâtiments néo – quelque chose fleurissaient partout, un simple mur coulé en place de Tadao Ando, était l’exception. La norme, le normal, le neutre c’était le bâtiment signifiant, bavard, lourdement référencé. C’est l’habitude qui rend banal ; la répétition d’une chose extraordinaire va la rendre quelconque.
Il me semble que produire ou concevoir du banal ne peut être issu d’une pensée en soi. Car cela voudrait dire qu’il y a des recettes de la banalité, des savoir-faire du neutre. Ce n’est pas non plus une approche de la matière, ni une esthétique du discret, du simple, mais c’est l’expression du sens commun à un moment donné, l’esprit du temps qui créé la série.
Ordinaire, sans qualités, Musil. Son héros désincarné incarne cet homme sans qualités. Il y a une forme de nihilisme dans la banalité. Le refus d’être remarquable ou digne d’un intérêt particulier. Alors la normalité rend-elle banal ? Le rationalisme est-il banal car il puise son essence dans la logique, la mesure, le bon sens?
Finalement aujourd’hui, est-ce-que les projets gigantesques de HDM par exemple ou les milliers d’images d’architectures audacieuses (construites ou non ) qui circulent sur les sites d’architecture ne sont-ils pas devenus banals très vite et nous laissent de marbre,… On pourrait alors parler à leur égard de pittoresque tant leurs efforts pour exprimer ce qu’ils veulent être les rendent grossiers. Ne prennent-ils pas alors le statut d’une invisibilité tant ils se veulent visibles parmi d’autres qui crient les mêmes mots… ils rentrent alors dans la neutralité, le commun. Les projets trop volontairement contextuels pourraient appartenir à ce catégorie du pittoresque. Et alors le petit projet, cabane de pêcheur sur la rivière, l’extension discrète et modeste mais au combien raffinée d’une maison dans le Valais en Suisse prend alors le statut d’exception. On pourrait parler d’une architecture invisible à l’œil nu, à l’élégance subtile.
Aujourd’hui, utiliser ou réutiliser les canons de l’architecture contemporaine revenus en grâce, n’est plus une exception. La multitude de projets expressionnistes de la contemporanéité, parfois médiocres et dépourvus de sens, devient banale. Le banal ne peut être une dimension esthétique, car si c’est le cas, il perd fatalement son essence, sa définition. On pourrait donc opposer le banal chic à l’exception vulgaire. Le banal est une variable de l’esprit du temps, de l’époque.
Opposer le banal à l’exception, c’est à dire vouloir en donner une définition, c’est peut-être se placer dans la pensée d’une forme de fabrication de la ville, de la répétition, du générique et non dans l’analyse critique. Ce qui me paraît important, ce qui survit à tout, c’est la question du sens, du pourquoi on fait les choses à un moment donné, qui, dépourvu de tout à priori, devient le moteur de le pensée qui fabrique le projet. Pour faire écho à Giorgio AGAMBEN lorsqu’il déclare « …le contemporain, c’est l’inactuel… », on pourrait dire que le banal, c’est l’exception.
Jean-Patrice Calori